La fouille avec le Génie [PV Sho et Emi]

J'ai pris une pause. Surprenant, non? Avant de vous emballer, comprenez qu'elle est plus ou moins bien méritée. J'ai pris une pause après mes fouilles, évidemment. Je n'allais pas flâner alors que la dernière phrase que j'ai dite en sortant de ce procès est "Allez, il y a du travail à faire." Ce serait bien hypocrite de ma part. Donc, j'ai commencé par aller chercher le cinquième souvenir qui m'attendait dans la salle du souvenir. Étrangement, pour une fois, il ne me donnait pas le goût de questionner mon existence entière. En fait, c'était plutôt le contraire. Il me rassurait, me montrait que les choses allaient plus ou moins bien, qu'elles peuvent être comme auparavant. Pas de trahison ou de déception. De la confiance et la promesse d'une aide future. Ça fait du bien. Depuis ce matin, j'ai l'impression d'avoir changé. Je... me sens mieux. Enfin, plus ou moins. J'ai commencé cette journée avec une réalisation assez pénible: je suis un amalgame d'échecs. Ma vie n'est que mauvais choix, erreurs de jugements, décisions médiocres. J'ai ruiné les vies de tant de personnes égoïstement. Pourtant, je suis épris d'un certain zèle. Je veux réussir. Je veux accomplir quelque chose de bien. Je veux tenir cette promesse, accomplir ces tâches, pour mon propre bien, certes, mais aussi pour le bien de Naoto. Et je m'étonne de voir ce fardeau d'un si bel œil. Je sais bien que je ne mérite pas cette opportunité. Je devrais être puni pour tous mes crimes, tant ceux qui ont été reconnus par la loi que ceux qui semblent si indirectement causés par moi-même. Par contre, j'ai une tâche, un But. Non, j'avais déjà un but. À présent, j'ai plusieurs Buts. Certains sont plus faciles à réaliser que d'autres. D'autres, plus douloureux à affronter. Mais l'essentiel, c'est que ma Vie, mon existence entière, ne dépend plus d'un seul et unique But. Certes, mon But Premier reste le plus important, le plus essentiel, mais les autres Buts semblent m'apporter... De l'Espoir? Peut-être que non. C'est plutôt difficile à décrire. La plupart des Hommes existent soit avec aucun But et pourrissent à travers leur existence, soit avec un But qu'ils poursuivent toute leur vie durant, quel qu'il soit. Mais qu'en est-il de l'Homme qui connaît plusieurs Buts? Vaut-il plus que les autres? Vit-il plus que les autres? Je ne saurai pas le dire. Ainsi, je soupire pendant ma pause. Ah! Oui. Je suppose que vous voulez savoir ce que je fais en ce moment, dans cette fameuse pause. Eh bien, vous n'êtes là que pour écouter, donc je vais parler. Je me suis arrêté au bureau du chevalier, qui contenait l'équipement nécessaire pour l'entraînement à l'épée. Donc, étant incapable de rester immobile, je décidai de me pratiquer au combat avec ce katana que Takumi m'a donné. Je ne l'avais pas encore utilisé proprement et son poids n'est pas le même que celui que j'ai laissé dans cette ville détruite avant d'entrer dans ce jeu, ce katana qui hante mon passé... Enfin, je voulais m'habituer à cette nouvelle arme. Ainsi, je me suis rendu à ce bureau, toujours en compagnie d'Emi, pour améliorer mes capacités encore plus. Mon épée toujours à l'intérieur de son fourreau, pour ne pas endommager le mannequin, je commençai à exécuter toutes sortes de coups. Des coups rapides, puissants, inoffensifs, fatals. Je pratiquai tout le Kenjustu que j'ai appris à travers ces années, que j'ai mémorisé avec grand soin. Quant à Emi, elle restait dans le coin au plus profond de la salle, mais je me suis placé de façon à rester près d'elle. Elle m'observait avec un doux sourire aux lèvres. Je lui retourne un sourire sincère (évènement rare, je sais). Aussi banal qu'il semble, je crois que le temps passé ensemble nous fait mutuellement du bien. Après tant d'années de séparation et de douleur, le fait d'être réunis à nouveaux nous permet petit à petit de sourire à nouveau. C'est certain qu'elle reste assez silencieuse, étant sous la surveillance de Zettai Zetsubou et c'est certain que je n'ai jamais été heureux et souriant pour commencer, mais je prie que le jour où nous serons en paix viendra bientôt.

Tout à coup, en regardant Emi, je vis qu'elle pointait subtilement vers la porte. De par ma vision périphérique, j'ai pu constater qu'il s'agissait de Jimmy. De Jimmy couvert de sang, qui plus. Enfin, laissez faire. Jimmy couvert de sang, c'est assez normal. Il s'agissait de Jimmy, voilà. Je ne lui avais parlé que peu et tout semblait montrer qu'il est grandement instable. En même temps, qui n'est pas instable ici? Enfin, vous me comprenez. Son instabilité est digne de mention dans mon monologue intérieur. Est-ce un honneur? Pas vraiment. Bien trop de choses ont été mentionnées dans ces monologues. Pour être honnête, depuis que je sais que j'ai une puce dans ma tête, j'ai parfois le goût de dire absolument n'importe quoi, simplement pour faire perdre du temps à Monokuma. L'ai-je déjà fait? Je pense que je suis en train de le faire. Est-ce que ça fonctionne? Va savoir, je n'ai pas moyen de lui parler. Enfin, pas immédiatement. Bref, passons.

Jimmy venait d'arriver. Je commençais à cesser mon entraînement, sans pour autant paraître surpris ou perturbé, parce que je ne l'étais aucunement. J'aurais préféré rester seul avec Emi, mais comme je dis toujours, je ne peux pas contrôler où les autres gens vont et ne vont pas. Donc, tandis que Jimmy commençait à nous parler, Emi se mit derrière moi, sa tête dépassant suffisamment pour pouvoir regarder Jimmy. Nous nous sommes mis en accord là-dessus. Les autres ne sont pas nécessairement dignes de confiance, donc lors de toute interaction, je parlerai pour nous deux et tu observeras. C'est le mieux qu'on puisse faire dans cette situation, où bien trop de gens voudraient faire du mal à mon Amour. En écoutant Jimmy parler, je trouvais une chose étrange: son apparente bonne humeur. Certes, je viens de dire comment mon état s'est amélioré, mais pourquoi serait-ce le cas pour lui? Comment fait-il pour maintenir une conversation presque normale? Enfin, sauf pour le bout du sang, mais ni Emi ni moi ne sommes surpris par celui-ci, donc le tout reste assez banal. Soupir intellectuel. Je ne comprendrai jamais les autres, mais je serai toujours obliger de leur parler:

-Ah, salut. Nous avons trouvé plusieurs choses. Ce quartier est définitivement utile, quoique je n'aime pas être associé à un scientifique fou. Sinon, nous allons bien. Enfin, mieux. Et... eum... Et toi?

Mon être entier émanait d'une légendaire neutralité. Je ne sais pas comment montrer un intérêt envers les autres. Je ne sais pas comment maintenir une conversation qui n'est pas cruciale à mon existence. Je ne sais pas comment être amical ni sympathique ni compatissant. Je suis une personne bien fade, quand on y pense. Soit je suis indifférent, arrogant ou déprimé. Masque, masque, pas un masque. Ma paume vient se percuter sur mon front. Intellectuellement, évidemment. Nul besoin que le monde extérieur voit mon désarroi. Ah! De toutes les conneries que l'orphelinat et l'école ont tenté de m'apprendre, le savoir vivre n'a-t-il pas pu être une de ses choses?

-Ah, je vois.

C'est tout ce que je pouvais dire après ses premières phrases, mon visage toujours indifférent, voire las. En même temps, que pourrais-je dire de plus? Je ne vais pas lui demander le résultat de ses fouilles, connaissant déjà la réponse à cette question. Ce serait une perte de temps. Je ne vais pas le remercier de me suggérer de manger de la viande crue directement sortie du congélateur. Il n'y a que lui qui voit ça comme une sorte de faveur. Ça, et je ne mange jamais de la nourriture étrangère. Demandez aux empoisonnés pourquoi. Enfin, je n'ose même pas le questionner sur la source de joie que pourrait contenir une exécution. Encore une fois, pour des raisons évidentes. Les gens sont si... émotionnels, souvent pour rien. Ou plutôt, ils affichent leurs émotions sans bonne raison. Je mentirais si je disais que j'étais sans émotion. Mais au moins, je sais les contenir. Je sais ne pas montrer ma faiblesse. Et je sais ne pas montrer mes côtés plus tordus. Pleurer un mort, c'est faible. Y trouver une raison d'être heureux, c'est tordu. Le meilleur choix, c'est de s'habituer simplement à la mort, d'y faire face sans émotion. Enfin, c'est le meilleur choix, mais c'est plutôt le moindre de trois maux. En bout de ligne, la mort affiche les défauts du témoin. Elle révèle les pires facettes de tous ceux concernés, mais ici, je m'intéresse aux témoins, car c'est ce que je suis, ce que nous sommes. Et nous avons tous l'air terribles. Les pleurnichards ont l'air pitoyables. Les souriants, sadiques. Les indifférents, insensibles et cruels. Mais à la fin, il faut choisir un camp ou choisir un masque. J'aimerais savoir comment pleurer la mort de Naoto, mais tout ce qui reste n'est qu'une cruelle neutralité. Je suis certain que d'autres aimeraient paraître indifférents tout en étant exaltés par son exécution. Peut-être que c'est effectivement le cas pour quelques élèves. Qui sait. Pour être honnête, je m'en fous. Qu'ils réagissent comme bon leur semble à sa mort, j'ai mieux à faire que les regarder.

Pendant que j'étais occupé à me perdre dans mes pensées, Jimmy s'approchait de moi. Il n'avait pas l'air agressif, mais il semblait plus calme qu'auparavant. Rendu très près de mon visage, il m'observait, simplement. Tente-t-il de m'examiner? Il pourrait au moins être plus subtil, en tout cas. En même temps, je doute que quelqu'un qui ne sait pas cacher ses tendances cannibales a le mot "subtil" dans son vocabulaire. Bref, passons. Il me fixait, je le fixais. Étant plus grand que lui, je devais avoir l'air un peu hautain, considérant l'angle de mon regard. Je n'avais pas la chance de regarder Emi en ce moment (j'aurais bien aimé que ce soit le cas, mais tant pis), mais je doutais qu'elle devait être quelque peu confuse de la situation. En même temps, être coincée derrière deux hommes qui se fixent sans bonne raison doit être assez dérangeant. Mais d'un coup, il recula, et commençait à regarder autre chose. D'abord Emi, dont je sentais qu'elle se cachait encore plus derrière mon dos. Ensuite, mon katana. Il doit sûrement être en train de faire des raisonnements bien évidents. Bon, puisque tout n'est pas aussi évident pour tout le monde, je vous donne une petite leçon: Si Emi est en danger et que Sho a un katana, qu'en est-il pour vous? La bonne réponse? Quelqu'un? En fait, je ne pense pas que vous voulez que je vous décrive votre état après que j'aie fini avec vous.

Mais voilà que Jimmy recommence à parler (et à me tapoter... le contact physique, c'est un non). Ou plutôt, à perdre son temps. Pense-t-il vraiment que ce qu'il dit m'est nouveau, que je n'y avais pas déjà pensé? J'espère que non. J'y pense toujours. J'y pense depuis que je sais qu'Emi est une Despair. J'y pense, j'y pense, j'y pense... Je ne peux que penser à ça.  Je ne veux jamais la voir en danger. Je ferai tout en mon pouvoir pour la protéger. Toujours. Comme il y a des années déjà. Enfin, il continue, il termine, il prononce ce mot qui rend finalement mon visage d'une froideur absolue. Certes, je prenais des airs de plus en plus sérieux, de plus en plus sternes, mais lorsqu'il décida de me déclarer "utile", il y a eu un déclic, une irritation que même la chaleur d'Emi ne savait pas contenir. Y a-t-il autre chose que je puisse être, merde!? Les objets, les outils, les machines sans âmes sont utiles. Les personnes méritent mieux que d'être perçues par leur utilité. Qu'on me laisse tranquille, si on ne voit aucun intérêt réel en moi! C'est bien ce que je fais pour vous, bande d'imbéciles! Vous n'êtes pas simplement inutiles, vous êtes de bien piètres personnes. Vous tous. Les imbéciles propriétaires de l'orphelinat n'ont mis d'efforts pour me faire adopté que parce qu'ils me pensaient utile. Les imbéciles criminels m'ont recruté parce qu'ils me pensaient utile. Cet imbécile de premier ministre n'a envoyé cette lettre à Kibougamine parce qu'Emi lui a montré que j'étais utile. Ces imbéciles de Kibougamine ne m'ont invité que par cette recommandation, cet intérêt nouveau envers mon utilité. Maintenant, ces imbéciles d'élèves ne veulent me parler, me voir vivre et qui sait quoi de plus que parce qu'ils me considèrent utiles. Et après ils se questionnent sur le fait que je suis solitaire. Enfin, peut-être même que non. Peut-être qu'ils s'en fichent et ne comptent me voir qu'aux moments où je suis utile. Je sentais mes muscles se raidir à cause de cette sorte de rage. Puis, je sentais à nouveau Sa chaleur. Ses mains douces qui s'appuyaient sur mon dos, comprenant tout de suite mon état sans même me parler, sans même voir mes yeux. C'est vrai: je n'ai besoin que de Son Amour pour être heureux. Je devrais continuer à ignorer leurs opinions. Ainsi, je me calmai assez rapidement. Tout en maintenant cet air froid qui s'était déclaré sur mon visage, je parlai à Jimmy:

-Je sais déjà tout cela, merci pour le rappel.

Évidemment, je ne lui étais pas reconnaissant de quoi que ce soit. Par la suite, en tournant ma tête vers Emi, j'ajoutai des derniers mots, un petit sourire au lèvres et toute mon attention sur elle:

-De toute façon, je n'ai pas le droit de tuer.

Elle était prise de rougeurs et me fixais, un air surpris, étonné, sur son visage. Pensait-elle vraiment que j'oublierais ma promesse?